Par Jean-Noël Tronc, Directeur général de la Sacem
Si nos industries des tech nologies de l’information sont très affaiblies, lesindustries culturelles et créatives (ICC) européennes occupent une position puissante au cœur de notre économie. Une étude intitulée «Les secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance», publiée en 2014*, a fourni pour la première fois un ensemble de données quantitatives et qualitatives sur le poids économique et social des ICC dans l’Europe. Avec 536 milliards d’euros et plus de sept millions d’emplois, les ICC sont le troisième employeur en Europe, après l’hôtellerie-restauration (secteur auquel ils contribuent d’ailleurs, notamment grâce au spectacle vivant et au tourisme culturel). La culture fait travailler deux fois et demi plus de personnes que les constructeurs automobiles, cinq fois plus que l’industrie chimique, sept fois plus que les télécommunications (1,2 million d’emplois). Elle pèse plus que la sidérurgie ou l’agroalimentaire.
Des acteurs mondiaux
Les ICC sont l’un des rares secteurs économiques européens à compter de nombreux leaders mondiaux, notamment numé- riques : le Français Deezer et le Suédois Spotify, qui ont inventé le modèle du streaming par abonnement pour la musique ; Vivendi avec Canal+ et Universal (premier producteur mondial de musique) ; Bertelsmann ; la Sacem (la plus importante société de gestion collective) suivie de la Gema allemande ; Sixième Son, première agence de musiques de marques ; Cannes, premier festival international de films ; Francfort (Buchmesse), première foire du livre au monde… Sept des dix premiers musées du monde sont européens, tout comme sept des dix premiers éditeurs mondiaux. Dans la presse, Reuters et AFP, sont les deux premières agences au monde. WPP et Publicis sont deux des trois plus grands groupes publicitaires du monde. Dans le domaine des jeux vidéo, on peut citer le Français Ubisoft et le Finlandais Rovio, à qui l’on doit le succès de Angry Birds. Les architectes européens sont demandés dans le monde entier, comme Jean Nouvel à qui l’on doit Le Louvre d’Abu Dhabi, Rem Koolhaas qui a réalisé le bâtiment de la télévision nationale chinoise à Pékin ou la bibliothèque de Seattle, Renzo Piano (le Whitney Museum à New York)… Et on pourrait multiplier les exemples.
Un écosystème fragile
Le dynamisme de l’économie culturelle européenne n’est pas le fruit du hasard. Il repose sur une lente construction, qui mêle activité intellectuelle et vie économique, et débouche sur un écosystème à la fois innovant et fragile. La puissance de son économie de la culture aurait logiquement dû conduire l’Union européenne à une politique ambitieuse de soutien à ses acteurs sur le modèle américain ou chinois. Mais le refus d’une politique de puissance et la domination de la vision libérale et consumériste dans la stratégie économique de l’Union l’ont emporté, avec des conséquences négatives importantes. Partant de la conviction que nous avons besoin de mesures symboliques qui puissent rapprocher l’Europe et ses citoyens, je plaide pour des actions protectrices assumées, une régulation renforcée qui préserve le cadre spécifique à l’Europe et impose, en même temps que les principes d’une diversité culturelle étendue au streaming et aux grands services Internet, un juste partage de la valeur aux géants du numérique.
* Étude réalisée par Harris Interactive dans 7 États membres de l’Union